Ndaté Yalla Mbodj : héroïne de la résistance à la colonisation

Ndaté Yalla Mbodj - Reine du Waalo - Sénégal

À l’occasion de la journée internationale des droits de la femme, j’ai envie de mettre à l’honneur une personnalité peu connue en France, mais symbole de résistance, de courage et de ténacité au Sénégal : Ndaté Yalla Mbodj.

Ndaté Yalla Mbodj, la Linguère au caractère bien trempé

Dernière grande Linguère du Waalo, un royaume situé au nord-ouest du Sénégal, Ndaté Yalla Mbodj est une figure majeure de la résistance aux forces coloniales françaises au XIXe siècle.

En sérère et wolof, le terme « Linguère » désigne une reine ou une princesse, souvent la mère ou la sœur du souverain. Il n’est pas rare de voir l’une d’entre elles accéder au trône. C’est pourquoi elles sont formées à régner avec fermeté, trancher les affaires internes et défendre le peuple. Elles gèrent le royaume aussi bien politiquement que militairement. Cette tradition se transmet de génération en génération, constituant des lignées de matriarches fières et fortes. C’est ainsi que Ndaté Yalla apprend l’art de la guerre et le maniement des armes. Son caractère courageux et implacable, elle le doit à sa mère, Fatim Yamar.

Celle-ci aurait repoussé une attaque maure sur la capitale Nder, avec ses troupes de guerrières, en mars 1820. Humiliés d’avoir été battus par des femmes, les Maures organisèrent une seconde offensive et finirent par les vaincre. Préférant mourir plutôt qu’être capturées, Fatim Yamar et ses dernières combattantes s’immolèrent par le feu. Ndaté Yalla et sa sœur s’enfuirent, se promettant de devenir de grandes guerrières pour protéger leur royaume.

Carte des ethnies du Sénégal
Carte des ethnies du Sénégal de l'abbé David Boilat (1853) | Crédit : bibliothèque en ligne Gallica, sous l'identifiant ARK bpt6k103361c/f512

Le Waalo avant son accession au trône

Le royaume du Waalo fait partie des plus anciens du Sénégal. Issu de l’éclatement de l’empire du Djolof au XVIe siècle, il occupe une position stratégique, à l’embouchure du fleuve Sénégal, entre le monde arabo-berbère et l’Afrique noire.

Son histoire est marquée par des luttes de pouvoir, des conflits avec les territoires voisins, notamment avec les Maures et les Toucouleurs. Malgré cela, le Waalo est économiquement prospère, grâce à l’agriculture, l’élevage, la pêche et le commerce. Sa situation géographique en fait un point d’échange incontournable entre l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest et les marchands européens de la côte atlantique, dès le XVe siècle.

Comme nous l’avons vu plus haut, une des particularités de la société waalo-waalo est son système matrilinéaire : l’héritage et le pouvoir y sont transmis par la lignée maternelle. C’est naturellement à la mort de sa sœur Ndjeumbeut Mbodj en 1846 que Ndaté Yalla devient la nouvelle Linguère du Waalo. Dès son avènement, elle est confrontée à de nombreux défis, tels que préserver l’intégrité et l’autonomie de son territoire face aux convoitises et désirs des autres empires. Le règne de Ndaté Yalla Mbodj s’inscrit donc dans un contexte historique et géopolitique singulier, entre guerres contre les royaumes voisins et opposition aux colons français.

La résistance à la colonisation française

Depuis 1659, les Français sont installés à Saint-Louis, sur l’île de Ndar. Face à eux, Ndaté Yalla Mbodj ne compte pas se laisser dominer. Nullement impressionnée, elle ne cède ni aux pressions ni aux tentatives d’intimidation. Au contraire, elle prend les armes pour défendre ce qui lui appartient et empêcher les colons d’empiéter sur son territoire. Cependant, la stratégie qu’elle déploie contre la France n’est pas seulement militaire.

Dans son importante correspondance avec l’administrateur colonial, elle ne cesse d’affirmer son autorité et de contester les velléités expansionnistes françaises.

En 1847 par exemple, elle impose une taxe sur l’acheminement des marchandises à travers son royaume vers Saint-Louis. En réponse aux menaces qu’elle reçoit, elle écrit au gouverneur français :

« Nous n’avons causé de tort à personne. Le Waalo nous appartient, c’est la raison pour laquelle nous garantissons la liberté de passage des marchandises dans notre pays. Pour cette raison, nous facturons 1/10e de ces marchandises, et rien de plus. Saint-Louis appartient au gouverneur, le Cayor au Damel, le Djollof au Bourba, Le Fuuta à l’Almamy, et le Waalo au Brak. Chacun de ces chefs gouverne son territoire selon la manière qui lui convient » (18 juin 1847).

En 1851, elle revendique ses droits sur l’île de Sor, puis sur Boyo, deux zones encerclant Saint-Louis :

« Nous vous prévenons aussi que nous n’avons vendu l’île de Sor à personne et que nous n’avons pas l’intention de la vendre. On aurait dit que les gens du Sénégal y ont établi des lougans sans nous demander et sans notre consentement, nous vous demandons des explications à cet égard. » (27 février 1851)

« Le but de cette lettre est de vous faire savoir que l’île de Boyo m’appartient depuis mon grand-père jusqu’à moi, aujourd’hui. Il n’y a personne qui puisse dire que ce pays lui appartient, il est à moi seule. Je n’ai vendu ce terrain à personne, je ne l’ai confié à personne ni à aucun blanc. » (23 mai 1851)

Ndaté Yalla Mbodj se plaît ainsi à défier les Français, à qui elle rappelle constamment leur condition d’étrangers sur ses terres.

Ndaté Yalla Mbodj , dernière Linguère du Waalo - Sénégal
Llanta. Lithographe, L'Abbé P.David Boilat, aut. du texte — cote : Gallica, bnf.fr - Réserve DT 549.2 B 67 M Atlas - planche n °5 - Notice n° : FRBNF38495418 - (Illustrations de Esquisses sénégalaises)

La fin du règne de Ndaté Yalla Mbodj

La reine sénégalaise poursuit les pillages autour de Saint-Louis et se moque des Français qui lui réclament des dédommagements pour les pertes occasionnées. Elle va jusqu’à interdire le commerce avec la ville.

Fin 1854, Louis Faidherbe est nommé administrateur colonial du Sénégal. Face aux provocations incessantes de la Linguère, il organise une expédition militaire. Les Français attaquent donc le Waalo en février 1855. En réponse, Ndaté Yalla prend la tête d’une grande armée et affronte les troupes coloniales. Malgré son acharnement, elle ne peut que s’incliner devant ces hommes munis de fusils :

« Aujourd’hui nous sommes envahis par les conquérants. Notre armée est en déroute. Les tiédos du Walo, si vaillants guerriers soient-ils, sont presque tous tombés sous les balles de l’ennemi. L’envahisseur est plus fort que nous, je le sais, mais devrions-nous abandonner le Walo aux mains des étrangers? »

La Linguère part en exil et meurt en 1860 à Dagana. La capitale Nder est incendiée, tout comme plusieurs villages, durant la prise du royaume par les Français. Le Waalo est entièrement conquis en 1859.

Le général Louis Faidherbe
Le général Louis Faidherbe (1818 - 1889) | Marie Madeleine Rignot-Dubaux, huile sur toile, 1884

Ndaté Yalla Mbodj reste aujourd’hui une figure emblématique de la résistance à la colonisation française. Son caractère indomptable, sa posture défiante, son audace politique font d’elle non seulement une héroïne de son temps, mais aussi un véritable symbole de la lutte contre l’oppression.

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